< Retour

Décisions refusant une interruption de fourniture d’eau, et consacrant indirectement un droit minimal à l’eau

Publié le: 27/05/2016 - Mis à jour le : 13/06/2016

Dans un contexte de factures d’eau impayées, la législation prévoit que, aucune coupure d’eau (sauf d’ordre technique ou par sécurité) ne peut avoir lieu du 1er juillet au  31 août, et du 1er novembre au 31 mars. Par contre, rien n’est prévu en matière de fourniture minimale d’eau en dehors de ces périodes.

  • Dans un jugement du 24 mai 20041, le Juge de Paix du canton de Mouscron-Comines-Warneton refuse une demande d’interruption de fourniture d’eau demandée par une société de distribution confrontée à des factures impayées. Le Juge déclare que la société de distribution doit élaborer un système qui permette de réduire la fourniture d’eau au strict nécessaire, afin de se conformer aux besoins indispensables liés à la dignité humaine.
  • Le Juge de Paix du Canton de Fontaine-l’Evêque prend, le 15 octobre 2009, une décision dans le même sens2. Il rappelle que le droit à l’eau est « le droit pour toute personne, quel que soit son niveau économique, de disposer d’une quantité minimale d’eau de bonne qualité qui soit suffisante pour la vie et la santé3. Le droit à l’eau fait partie des droits de l’homme reconnus au plan international peut être associé au droit à la dignité humaine.Le juge ajoute que « la mise en œuvre par les Etats du « droit à l’eau » ne signifie pas qu’ils sont tenus de fournir gratuitement de l’eau à toute personne ». Il juge néanmoins, et c’est fondamental, qu’ « admettre le bien-fondé d’une demande de coupure totale (notamment) sous prétexte que l’usager a accumulé une dette importante, qu’il a déjà fait l’objet de condamnations antérieures ou encore, qu’il ne respecte pas un plan d’apurement, reviendrait à confier au juge le pouvoir d’imposer une mesure qui dans tous les cas et par essence, serait de nature à violer le principe consacré non seulement par l’article 23 de la Constitution mais aussi par toutes les dispositions supranationales (…).

    Même une défaillance chronique de l’usager à son obligation de paiement ne saurait le priver du droit élémentaire au respect de sa dignité. En conséquence, seule une coupure d’alimentation en eau, avec le maintien d’un débit minimal, est de nature à préserver la dignité humaine de l’usager. Celle-ci constitue, en effet, un principe supérieur qui s’impose à tous les acteurs de la vie économique, qu’ils relèvent du secteur privé ou du secteur public mais, a fortiori, en va-t-il ainsi lorsqu’ils sont investis d’une mission de service public qui touche aux droits fondamentaux de tout être humain ».

  • Le Juge de Paix du Canton de Fontaine-l’Evêque adopte un jugement similaire le 5 novembre 2012, en précisant que le fait que les législateurs régionaux ont modulé le régime normal de l’exception d’inexécution résulte de la nature même de la mission de service public des sociétés distributrices d’eau (ici, la Société Wallonne Des Eaux (S.W.D.E), vu que les faits se déroulent en Région wallonne), et que l’eau constitue une ressource commune et vitale à laquelle tout être humain a droit. Le juge de Paix rejette dès lors la demande d’autorisation de cesser la fourniture d’eau au motif que le client ne payait plus ses factures depuis longtemps.
  • Le Tribunal de 1ère instance de Charleroi, saisi d’un appel de la S.W.D.E. contre le jugement du juge de paix de Fontaine-l’Evêque en matière de coupure d’eau, confirme le 22 février 2013 la décision de ce dernier4. Le tribunal se fonde sur l’article 23 de la Constitution et déclare qu’aucune mesure allant à l’encontre du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ne peut être prise. Le Juge déclare « qu’en l’état actuel de notre société, il n’est pas concevable qu’une personne soit privée totalement d’eau ». Il ajoute que la mise en balance des droits protégés par l’article 23 de la Constitution et de ceux consacrés par le Code wallon de l’eau (qui autorise dans des cas précis, à couper la fourniture d’eau – article D.202) empêche de considérer la coupure totale comme une mesure raisonnable, et ce d’autant plus « eu égard à la paupérisation grandissante d’une grande partie de la population ». Une mesure sanctionnatrice nécessaire tout en respectant la dignité humaine serait, selon le tribunal, de maintenir un approvisionnement minimal en eau, à travers un limiteur de débit. Cette possibilité n’étant pas prévue par la législation régionale wallonne actuelle (idem dans les Régions bruxelloise et flamande) alors qu’elle est techniquement possible, le tribunal décide de rejeter la demande d’interruption totale de distribution d’eau.

[1] J.P. Mouscron-Comines-Warneton, 24 mai 2004, RGDC, 2008, p. 274.
[2] Voy. décision
[3] (voy. H. Smets (Conseil Européen du droit de l’environnement), « Reconnaissance et mise en œuvre du droit à l’eau », Rev. Trim. Dr. H., 2002, pp. 837 et s.)
[4] Civ. Charleroi, 22 février 2013, RG n° 12/3855/A.