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Jurisprudence – redevance fixe et changement de fournisseur

Publié le: 06/12/2021 - Mis à jour le : 09/12/2021

La réclamation d’une redevance annuelle fixe est autorisée par les ordonnances gaz/électricité et l’Accord du Consommateur[1]. Pour les fournisseurs, cette redevance fixe s’explique essentiellement par les démarches administratives et par les coûts fixes auxquels ils doivent faire face pour tout nouveau client.

Certains fournisseurs facturent toutefois l’intégralité de la redevance fixe annuelle (ou frais d’abonnement) au consommateur qui rompt anticipativement son contrat d’énergie en cours d’année[2] : ils conservent donc l’intégralité de la redevance facturée, même en cas de changement de fournisseur par le consommateur avant l’échéance annuelle du contrat. Cela signifie concrètement que cette dernière opération coûte parfois plus de 100 euros par énergie (addition des deux redevances, chez l’ancien et le nouveau fournisseur) aux usagers.

Or, cette pratique revient à réclamer illégalement une indemnité de rupture déguisée au consommateur[3]. Pour être conforme à la loi, la redevance fixe annuelle devrait, en réalité, être facturée en proportion du nombre de mois (ou de jours) écoulés durant l’année de rupture du contrat, comme le recommandent clairement le Service de Médiation de l’Energie (voir l’avis 17.011 du 29 décembre 2017 du SME)[4] et la CREG (par une déclaration du 15 décembre 2020)[5].

Les recommandations du Service fédéral de Médiation de l’Énergie (SME) ne sont certes pas contraignantes pour les fournisseurs d’énergie, mais elles sont incontestablement utiles pour deux raisons :

  • Les consommateurs peuvent utiliser ces recommandations lorsqu’ils s’adressent aux tribunaux pour contester la redevance fixe d’un fournisseur d’énergie.
  • Ces recommandations sont également utilisées par le SME pour formuler des avis politiques d’ordre structurel aux responsables politiques[6].

Des batailles judiciaires à répétition vers une tentative d’action en réparation collective

Malgré ces clarifications relatives aux redevances, les pratiques problématiques de certains fournisseurs ne tarissent pas.

Deux décisions judiciaires récentes, datant de juillet 2021, confirment les enseignements exposés ci-dessus, et renforcent une jurisprudence déjà pré-existante[7].

Le juge de paix 1er canton de Wavre considère ainsi, dans un jugement du 8 juillet 2021, que la pratique commerciale consistant, pour le fournisseur, à réclamer l’entièreté de la redevance, malgré la résiliation du contrat en cours d’année, est contraire à la loi[8]. Il s’en réfère pour ce faire à l’avis précité du SME et estime, en outre, que le fournisseur a pris un « risque procédural » en citant le consommateur en justice, pour récupérer l’entièreté d’une redevance fixe malgré cet avis. Le juge condamne dès lors le fournisseur à verser 100 euros au consommateur pour indemniser le préjudice subi.

Dans un jugement du 1er juillet 2021, le juge de paix du canton de Fléron considère, à son tour, que 75 euros de redevance fixe due pour toute année de fourniture entamée est non réglementaire[9].

Pour éviter la nécessité d’une succession d’actions individuelles en justice contre les fournisseurs qui refusent de renoncer à cette pratique litigieuse, le Service de Médiation pour le Consommateur avait entrepris, à l’initiative du Service de Médiation de l’Énergie, une action « en réparation collective » à l’encontre des fournisseurs d’énergie ESSENT, LUMINUS, OCTA+, MEGA, ENERGY PEOPLE et ZENO en vue d’un règlement collectif du contentieux[10]. Les fournisseurs d’énergie précités portent en effet en compte pour certains contrats des redevances/indemnités fixes de 10 à 90 euros par source d’énergie (électricité, gaz naturel) pour toute (première) année de fourniture entamée[11].

Le Service de Médiation pour le Consommateur (SMC), par son action judiciaire à « dimension collective », voulait mettre un terme à cette pratique une fois pour toute, tout en obtenant l’indemnisation des consommateurs qui en avaient été victimes. Les pratiques commerciales contestées des fournisseurs constituent en effet une infraction potentielle à diverses dispositions légales, surtout celles prévues dans la loi sur l’électricité et sur le gaz naturel ; une action collective est par ailleurs plus efficace pour les clients lésés, parce qu’une action individuelle est chronophage et coûteuse pour un préjudice de quelques dizaines d’euros. Le risque de non recours au juge est, par conséquent, important[12].

Une requête avait donc été introduite le 3 août 2018 auprès du Tribunal de l’entreprise de Bruxelles par le SMC, afin de faire valider sa demande de réparation collective et d’entamer, avec les fournisseurs, une phase de négociations limitée à une période de trois mois. Le Code de droit économique donne en effet au SMC la possibilité de représenter un groupe de consommateurs uniquement dans la phase de négociation d’une action en « réparation collective », afin de tenter de parvenir à un éventuel règlement collectif entre les parties concernées. La procédure en la matière prévoit que si le tribunal valide cette demande de réparation, des négociations entre les parties doivent avoir lieu. Et si celles-ci n’aboutissent pas favorablement, l’action judiciaire devrait être introduite au fond (en phase contentieuse, et non plus de négociation), mais alors par une association (de consommateurs) agréée à cet effet, le SMC n’étant, pour sa part, pas habilité à enclencher cette seconde phase de la procédure[13].

Lors des premières plaidoiries qui ont débuté au mois de septembre 2019, les parties ont plaidé la question de la compétence et de la qualité à agir du SMC. Les fournisseurs estimaient, notamment, que cette action en justice était contraire au devoir d’impartialité auquel le SMC est tenu. Ces mêmes fournisseurs estimaient, entre autres, que le SMC n’avait pas assez de moyens financiers pour soutenir cette action en justice ; ils considéraient enfin que le SMC n’avait en réalité pas du tout l’intention de négocier réellement.

Dans un jugement rendu le 4 novembre 2019, le tribunal de l’entreprise a rejeté tous les arguments des fournisseurs d’énergie et a prononcé la réouverture des débats afin de permettre aux parties de déterminer les modalités de la négociation.

Les fournisseurs concernés ont toutefois saisi la Cour d’appel qui a rendu un arrêt le 14 avril 2021 dans lequel la demande du SMC de négocier avec les fournisseurs concernés en vue d’un règlement collectif n’a pas été accordée[14]. Cet arrêt remet donc en cause la mission légale du SMC d’intervenir en tant que représentant d’un groupe de consommateurs dans les litiges collectifs de consommation. Le SMC a, dès lors, l’intention de formuler des recommandations au Gouvernement ou au législateur fédéral, au sujet du rôle indispensable des médiateurs dans le nouveau cadre européen des actions judiciaires visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs.

Il est toutefois important de souligner que la Cour d’appel ne s’est nullement prononcée quant au fond du litige, à savoir sur la légalité ou l’illégalité des redevances fixes forfaitaires contestées. Par conséquent, les consommateurs peuvent continuer individuellement à contester ces pratiques devant le SME ou le juge de paix, avec une chance maximale d’obtenir gain de cause.

Un règlement collectif par le législateur de cette problématique des redevances ?

Nous l’avons déjà souligné : un traitement individuel, devant le juge ou le SME, de cette problématique de pratiques abusives des fournisseurs n’est pas du tout satisfaisant.

Le législateur devrait dorénavant interdire formellement toute réclamation de l’intégralité de la redevance en cas de changement de fournisseur en cours d’année.

Un avant-projet de loi portant dispositions diverses en matière d’énergie, est actuellement porté par les ministres de l’Économie Pierre-Yves Dermagne (PS), de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen), et la secrétaire d’État à la Protection des consommateurs Eva De Bleeker (CD&V). Celui-ci vise à couler dans la loi diverses mesures de protection des consommateurs dans le contexte de la hausse des prix[15].

Parmi les mesures suggérées dans cet avant-projet figure une disposition prévoyant que lorsqu’un consommateur ayant un contrat d’électricité ou de gaz variable exercera son droit de résiliation après six mois, il ne sera plus possible de facturer la totalité de la redevance fixe, mais uniquement au prorata du nombre de jours de livraison. Cette mesure s’appliquera à partir de juillet 2022, à toutes les résiliations d’un contrat qui a déjà duré 6 mois.

Bien que cela constitue une avancée intéressante, cette future réforme ne règle nullement l’entièreté de la problématique exposée dans cette news. Le CASE s’engage, dès lors, à poursuivre son plaidoyer à cet égard.

 

 

[1] Notons que, conformément à l’article 25novies de l’ordonnance électricité, le fournisseur indique clairement et séparément dans son offre le prix unitaire et le prix moyen de chaque kWh facturé selon les quantités vendues et par catégorie tarifaire, les forfaits périodiques, redevances, formules d’indexation, taxes, abonnements et prix des autres services éventuels.

[2] Nous avons déjà attiré l’attention de nos abonnés à la newsletter, au sujet des redevances annuelles : https://www.socialenergie.be/factures-denergie-attention-a-la-redevance-annuelle/

[3] L’article 18 §§2/1, 1°, i) et 2/3 de la Loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité et l’article 15/5bis §§ 11/1, 1, i) et 11/3 de la Loi du 12 avril 1965 relative au transport de produits gazeux et autres par canalisations interdisent aux fournisseurs de réclamer une quelconque indemnité au consommateur qui résilie son contrat d’énergie. La législation précise aussi que toute clause qui porte préjudice au droit de mettre fin au contrat à tout moment est nulle.

[4]https://www.mediateurenergie.be/sites/default/files/content/download/files/sme_avis_politique_17_011.pdf

[5] Plus d’un million de ménages belges paient leur gaz et leur électricité trop cher, selon la CREG (rtbf.be), 15 décembre 2020.

[6] Voy. le mémorandum au gouvernement fédéral https://www.mediateurenergie.be/fr/publications/avis-19013-du-31-decembre-2019- memorandum.pdf

[7] Justice de paix Woluwe-Saint-Pierre, 15 février 2021.

[8] Justice de paix Wavre, 08 juillet 2021.

[9] Justice de paix  Fléron, 01 juillet 2021.

[10]  Les fournisseurs concernés par cette action ne furent ensuite plus que quatre : Essent, Octa+, Luminus et Mega. Les deux autres, Energy People et Zeno, ont arrêté leurs activités en cours de procédure. Le premier a fait faillite tandis que le second a fait connaître son intention de ne plus fournir de l’énergie à des particuliers.

[11] Luminus, de son côté, avait précisé que cette redevance fixe se transformait en redevance au prorata dès la deuxième année de contrat de fourniture d’énergie.

[12]Voy. notre publication « (Re)cours toujours… Comprendre & Combattre le non-recours pour lutter contre la précarité énergétique et hydrique », https://www.socialenergie.be/wp-content/uploads/20002-CASE-socialenergie-news2_06.pdf, avril 2020, pp. 47-48.

[13] Voy. https://www.mediateurenergie.be/fr/faq/action-collective-redevances-fixes-et-indemnites-de-rupture.

[14] Hof van beroep Brussel,  14 april 2021.

[15] A ce sujet, voyez notre news « Hausse des prix de l’énergie : quelques points d’attention », https://www.socialenergie.be/hausse-des-prix-de-lenergie-quelques-points-dattention/